La directive sur la protection temporaire (2001/55/CE), activée par la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil, oblige les États membres à fournir un hébergement aux personnes déplacées d’Ukraine relevant de catégories spécifiques. Aux Pays-Bas, cette responsabilité incombe aux municipalités. Dans la pratique, cependant, les refus sont fréquents, principalement en raison d’un manque de places ou de doutes sur l’établissement de l’identité et du statut de séjour. Cet article expose les fondements juridiques du droit à l’hébergement, examine la procédure néerlandaise d’accueil et de triage, et analyse les voies de recours contre les refus des municipalités.
- Cadre de la protection temporaire
En vertu de la directive sur la protection temporaire¹, les personnes déplacées d’Ukraine de certaines catégories bénéficient d’une protection temporaire immédiate. La décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil précise cette protection pour les citoyens ukrainiens et certaines catégories de ressortissants de pays tiers².
Les Pays-Bas ont mis en œuvre cela par le biais de réglementations nationales, notamment l’article 3.9a du Règlement sur les étrangers (Voorschrift Vreemdelingen) et l’Instruction de l’IND 2022/17. Les principaux groupes éligibles sont :
- les citoyens ukrainiens qui résidaient dans le pays le 23 février 2022 ou qui ont quitté le pays le 27 novembre 2021 ou après en raison de la menace croissante ;
- les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour permanent valide en Ukraine le 23 février 2022, à condition qu’ils n’aient pas quitté le pays avant cette date ;
- les membres de la famille des personnes susmentionnées, si les conditions de cohabitation sont remplies³.
- Responsabilité municipale en matière d’hébergement
L’obligation d’accueil découle du droit direct à la protection temporaire. L’accueil est régi par la Réglementation sur l’accueil des personnes déplacées d’Ukraine (RooO). La municipalité est tenue de fournir un hébergement dès qu’il est suffisamment plausible qu’une personne relève du champ d’application de la directive. Cela découle également des orientations opérationnelles de la Commission européenne⁴ :
« Le droit à la protection temporaire naît immédiatement. […] Lorsqu’elles s’adressent aux autorités […], il suffit de confirmer la nationalité, le statut de protection internationale ou nationale équivalente, la résidence en Ukraine ou, le cas échéant, les liens familiaux. »
Des « preuves indicatives » telles que les passeports, les cartes d’identité et autres documents officiels sont suffisantes à cet effet. La vérification formelle du statut est effectuée ultérieurement par le Service de l’immigration et de la naturalisation (IND).
- Procédure d’accueil et de triage
3.1 Enregistrement à la municipalité
La personne déplacée se présente à une municipalité. S’il y a suffisamment de données sur l’identité et le statut, la municipalité doit décider dans les cinq jours de l’enregistrement dans le registre de la population (BRP) sous le code 46. Cet enregistrement donne accès aux allocations et autres mesures du RooO. Un rendez-vous est ensuite pris avec l’IND pour la délivrance d’un document de séjour. Ce n’est qu’à ce stade que l’IND procède à une vérification formelle.
3.2 Processus de triage
En cas de doute sur le droit à la protection temporaire, la municipalité peut demander un « avis de triage » à l’IND. En cas d’avis négatif, l’IND rend une décision formelle de refus de la protection temporaire, ainsi que, généralement, une décision de retour. Il est possible de former une objection et un recours contre cette décision.
- Pénurie de places et fermeture des hubs centraux
Après le début de la guerre, des « hubs » temporaires (Amsterdam, Utrecht, Rotterdam) ont été mis en place aux Pays-Bas pour un enregistrement centralisé. Cependant, ces hubs n’avaient pas de rôle juridique formel comme, par exemple, le centre d’accueil de Ter Apel pour les demandeurs d’asile. Le hub d’Utrecht, qui accueillait principalement des groupes vulnérables, a été fermé en février 2024 en raison d’un manque de places dans les municipalités. Depuis lors, la politique est que les personnes déplacées s’adressent directement aux municipalités.
- Refus d’hébergement par les municipalités
Bien que les municipalités soient formellement tenues de fournir un hébergement, des refus se produisent en pratique en raison d’un manque de places ou de doutes sur les documents. Cependant, les principes juridiques suivants s’appliquent :
- En présence de preuves indicatives suffisantes, l’hébergement ne peut être refusé.
- La municipalité est tenue d’organiser immédiatement l’hébergement et, si nécessaire, d’adapter son infrastructure.
Ni la directive ni les réglementations nationales ne donnent le droit de refuser un hébergement uniquement en raison d’un manque de places.
- Voies de recours contre un refus
Dans la pratique, les refus sont souvent exprimés oralement et ne sont pas formalisés par une décision officielle. Cependant, même un refus oral peut être qualifié de décision au sens de l’article 72, paragraphe 3, de la loi sur les étrangers de 2000 (Vw). Une objection (bezwaar) peut être déposée contre une telle décision, et une mesure provisoire (vovo) peut être demandée au tribunal⁵.
6.1 Jurisprudence
Plusieurs décisions sont révélatrices :
- Tribunal de Middelburg, AWB 23/1697, ECLI:NL:RBDHA:2023:2530
Le juge a rejeté une mesure provisoire, invoquant la pleine occupation des centres d’accueil et le fait que le maintien de l’hébergement des personnes déplacées « sans droit » porterait atteinte aux droits de celles qui y ont droit. - Tribunal de Haarlem, 28 avril 2023, NL23.1776, ECLI:NL:RBDHA:2023:8447
Un recours contre le refus d’enregistrement au BRP a été déclaré irrecevable car il existe une procédure distincte pour contester l’avis de triage négatif de l’IND lui-même.
Ces décisions soulignent la distinction entre l’obligation de la municipalité de fournir un hébergement sur la base de preuves suffisantes et la vérification formelle du statut par l’IND.
- Attention particulière : les hommes ukrainiens en âge de servir
Le durcissement de la législation ukrainienne sur la mobilisation crée une complexité supplémentaire. Les hommes de 18 à 60 ans sont tenus de s’inscrire au registre militaire pour renouveler leurs documents. L’ambassade d’Ukraine aux Pays-Bas refuse souvent l’assistance consulaire à cette catégorie. Cependant, un passeport expiré n’est pas en soi un motif de refus d’hébergement. La municipalité peut enregistrer une personne déplacée dans le BRP sous le code 46 si son identité est établie⁶.
- Conclusion
Le système néerlandais vise à organiser un hébergement rapide et accessible pour les personnes déplacées d’Ukraine. La municipalité est tenue de fournir un hébergement en présence de preuves suffisantes, même si la vérification formelle de l’IND n’a pas encore eu lieu. Les problèmes de capacité ne la dispensent pas de cette obligation. Les refus peuvent être contestés par le biais d’une objection administrative et d’une demande de mesure provisoire. Dans la pratique, cependant, ces voies de recours contre les refus oraux sont encore sous-utilisées.
Notes
- Directive 2001/55/CE sur la protection temporaire.
- Décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil.
- Voir également les documents parlementaires 2023–2024, 36 394, n° 6.
- Commission européenne, Orientations opérationnelles (2022/C 126 I/01).
- Article 72, paragraphe 3, de la loi sur les étrangers de 2000 ; voir ECLI:NL:RBDHA:2023:2530 et ECLI:NL:RBDHA:2023:8447.
- Voir la Q&R sur la loi de mobilisation sur le site web du gouvernement néerlandais.